jeudi 24 janvier 2013

Rio, son carnaval, ses plages, et ... ses favelas !

Rio, vitrine du développement brésilien, destination touristique prisée pour son carnaval, ses bars, ses plages, va accueillir (en partie) la Coupe du Monde de Football 2014 et les Jeux Olympiques 2016. Consécration pour le Brésil, pays émergent membre des BRIC -Brésil Russie Inde Chine ; les quatre pays en développement qui rattraperont nos économies- qui ambitionne de jouer la puissance régionale d'Amérique du Sud. Mais le Brésil malgré ses performances économiques remarquables -jusqu'à 7.5% de croissance en 2010 (à noter que le pays a subi un ralentissement en 2012)- fait face à de grosses difficultés. Et sa vitrine, Rio,  brillante des paillettes du carnaval cache un malaise social réel.

La favela, un lieu de non-droit

Vue de la favela de la Rocinha, la plus peuplée
Rio compte plusieurs favelas dont la plus importante, la Rocinha, compte près de 300 000 habitants. La favela est une ville dans la ville, avec ses rues, ses quartiers, ses places. Elles commencèrent à être construites au début du XXe siècle à la suite de la destruction des taudis de travailleurs, ce qui obligea ces travailleurs à monter sur les collines. 
Non délimitée -contrairement aux ghettos sud-africains qui sont démarqués des autres zones urbaines par des barbelés, voire des murs- les habitants de la favela constituent une classe sociale à part entière. Ils ne fréquentent pas les autres parties de la ville.
La favela est une zone de non droit, c'est-à-dire que la loi municipale, régionale ou fédérale -le Brésil est un État de type fédéral, comme les États-Unis d'Amérique- ne s'y applique pas. Les favelas sont dirigées par des gangs. Dans les années 1970 -durant la dictature militaire- ces gangs étaient imprégnés d'idéaux socialistes et acceptaient de jouer un rôle social, fournissant des revenus à nombre de favelados (nom donné aux habitants des favelas), mais aussi un semblant d'administration et de services sociaux.
Mais progressivement, ces idéaux disparurent. Les gangs se recentrèrent sur les activités les plus lucratives : trafic de drogues, trafic d'armes, trafic d'êtres humains, prostitution. Corollaire de tous ces trafics : une augmentation significative de la violence.

Les opérations de "reconquête" des favelas

C'est cette explosion de la violence qui a poussé les autorités brésiliennes à intervenir, durant les trois années précédant la première opération militaire, cinquante personnes furent blessées par balles perdues et 13 tuées. En 1994-1995 débute la première opération de pacification, nommée "Rio de Janeiro". Planifiée comme une opération courte, elle a permis d'éliminer une partie des gangs. Mais elle n'a pas permis le rétablissement de l'État de droit, puisqu'elle n'était pas inscrite dans la durée. Ainsi, dès que les forces militaires furent parties les gangs reprirent le terrain laissé vacant.

En vue des événements mondiaux prévus à Rio et au Brésil en 2013-2014 et 2016, le gouvernement a décidé de lancer une nouvelle opération de "reconquête" des favelas. Cette fois-ci, les autorités ont tiré les leçons de la première opération. Ainsi, celle-ci a été construite sous un schéma "Clear-Hold-Build" (nettoyer, occuper le terrain, (re)construire). Ce genre de schéma est également utilisé par les forces occidentales en Afghanistan.
La première partie de l'opération a donc consisté à nettoyer la favela en utilisant des éléments mixtes de l'armée mais aussi de la police. Il est intéressant de noter que l'opération a été annoncée, ce qui a permis aux membres des gangs de fuir. Les forces militaires ont donc fait face aux éléments les plus déterminés à se battre.
Plusieurs opérations sont lancées, la municipalité espère contrôler les quarante principales favelas d'ici l'année prochaine.

Essentiels pour coordonner les opérations, l'armée a utilisé nombre d'hélicoptères dans les opérations.
Mais à la différence de la première opération, les troupes brésiliennes ont ensuite tenu le terrain, afin de pouvoir reconstruire. L'État a ainsi recruté des policiers spécialisés, jeunes, fraîchement sortis des écoles -afin de limiter le risque de corruption, ceux-ci étant encore imprégnés des règles martelées dans les écoles- et déterminés. Ils sont également payés le double d'un policier ordinaire (1000 réaux / 450 €). Ces unités de police pacificatrices (UPP) sont néanmoins critiquées car leur comportement s'est parfois révélé violent. Interrogée par le Monde Diplomatique, une habitante dénonçait la situation, arguant que "les UPP ont remplacé les gangs dans les favelas"

La phase de reconstruction est certainement la plus importante, bien que moins impressionnante que les opérations militaires dans la favela. Accompagnant directement les troupes militaires, les organisations municipales se sont installées, le plus souvent dans les anciens locaux des gangs pour marquer les esprits.
Progressivement les services municipaux ont repris leurs activités. Autre signe, des banques acceptent de s'installer dans les favelas afin de délivrer des micro-crédits -il s'agit de prêt de quelques centaines d'euros mais qui parfois suffisent à lancer une petite PME-. De plus, les services municipaux récemment ré-installés lancent de "grands projets" d'aménagement : routes, réseau d'égouts, etc. Ces projets permettent de donner un travail aux habitants. Ils trouvent un revenu fixe ce qui permet de les détourner des gangs. Ce point est peut-être le plus important de l’opération et pourrait être envisagé dans les cités françaises ? Donner aux jeunes de ces quartiers une opportunité de travailler permettra peut-être une ré-insertion dans la vie professionnelle. La répression policière voire militaire contre les gangs n'est d'aucune utilité tant qu'elle n'offre pas en parallèle une opportunité de "reconversion" aux populations en situation d'exclusion.

Le téléphérique flambant neuf surplombant la Santa Marta
Symbole de cette reconquête des favelas, celle de Santa Marta, toujours à Rio, a reçu un réseau d'eau potable et le téléphérique flambant neuf qui la surplombe est le symbole de sa "réintégration" à la ville. La reconquête des favelas est jusqu'à présent un succès.

Mise à jour du 07/10/2013

Quand j'écrivais cet article sur les opérations de pacifications des favelas au Brésil, j'ai tâché d'analyser la situation sous un angle plutôt sécuritaire. Force est de constater que cette analyse, si elle n'est pas fausse, est néanmoins biaisée. Je vous propose cette vidéo tirée du site www.lemonde.fr :

http://abonnes.lemonde.fr/ameriques/video/2013/10/07/reprise-de-l-operation-de-pacification-dans-les-bidonvilles-de-rio-de-janeiro_3490956_3222.html

Elle donne un contre-point intéressant qui manquait à l'article. 

mercredi 16 janvier 2013

Le Japon face à la décadence ?

Le Japon, troisième puissance économique mondiale s'enlise dans la crise. Population vieillissante, société sclérosée, classe politique corrompue, déflation, les indicateurs sont presque tous dans le rouge.

Un tableau sombre

L'économie japonaise ne reprend pas. Plombée par une dette atteignant presque deux fois et demi le PIB (218%), une déflation -c'est-à-dire lorsque les prix diminuent chaque année, ce qui n'est pas une bonne chose. Les entreprises voient en effet leurs bénéfices diminuer, puisque le même nombre de ventes rapporte moins- qui perdure et un déficit public colossal (8.2% du PIB en 2012 contre 4.6% en France). L'ancien gouvernement du Parti Démocrate (centre gauche) de M. Oda, qui avait tenté une politique de réduction des dépenses et le doublement de la TVA afin de diminuer le déficit, a été balayé par le parti libéral démocrate (PLD), parti conservateur, qui, hormis un intermède entre 2009 et 2012, a été systématiquement réélu depuis 1946. La corruption de la classe dirigeante -il n'est pas rare qu'un ministre démissionne (voire se suicide, cf une affaire impliquant l'ancien ministre des finances, Tadahiro Matsushita) à cause de conflits d'intérêts-,a pour conséquence le désintérêt de la part des jeunes pour la politique et sont peu optimistes, lesquels quant à une éventuelle reprise économique.

Is Abe Able ? 
(Able en est-il capable ? - TIMES magazine)

Shinzo Abe, actuel premier ministre du Japon.

La question mérite d’être posée. Shinzō Abe -se prononce Abé- a déjà occupé le poste de premier ministre entre septembre 2006 et septembre 2007. Il s'est fait réélire en partie sur un programme très ambitieux, nommé « Remettre sur pied le Japon ». Non seulement il prévoit de relancer l'économie japonaise à coup de plans de relance de milliards de dollars, mais il prône aussi une grande fermeté face à la Chine et dans le conflit qui les oppose. Vu comme un faucon -partisan d'une politique sinon agressive, au moins ferme-, il souhaite modifier la constitution japonaise afin de doter le pays d'une force militaire "conventionnelle" -le Japon n'a en effet pas le droit de disposer de forces militaires "offensives" ; portes-avions, missiles longue portée, etc.-
Le plan de relance économique a été dévoilé mardi 9 janvier. Ambitieux, celui-ci consacre 89.5 milliards d'euros dans des mesures de soutien dont la moitié pour des travaux d'infrastructures -constructions ferroviaires, bâtiments, normes sismiques etc.-, secteur qui emploie directement et indirectement une large main d'œuvre.
Mais ce plan a déjà été largement critiqué. Coûteux, on lui reproche d'être trop axé sur le secteur du bâtiment, or les lourds investissements ne risquent de ne donner qu'un stimulus temporaire à l'activité. Certes, des subventions à la R&D (recherche et développement) sont prévues dans le plan de relance, mais rien n'est fait pour restructurer plus en profondeur l'économie japonaise. Surtout, la corruption de la classe dirigeante et sa proximité (presque fusionnelle) avec le monde des affaires ne permet pas un débat en profondeur ou un renouvellement suffisant de la classe politique japonaise ; ses membres sont souvent âgés, et surtout, sont pour la plupart issus de quelques familles influentes.
Autre solution selon M. Abe : chercher de nouveaux marchés à l'export pour les mastodontes de l'économie japonaise (Sony, Toyota, Toshiba etc.). Ces conglomérats, les Keiretu, sont issus des Zaibastui (clique financière en français). Ce sont ces firmes tentaculaires qui, grâce à leurs exportations, soutiennent l'économie japonaise. Leur assurer des marchés est donc vital. Le premier ministre japonais M. Abe se rend donc à partir d'aujourd'hui en Asie du Sud-Est, principal marché émergent visé par le Japon. En effet, la crise économique et l'austérité généralisée en Europe réduisent la demande en biens et services, ce qui affecte directement les entreprises japonaises. 

Le Japon face à la Chine, et à ses voisins

Fait intéressant, le premier pays visité par M. Abe dans sa tournée est le Vietnam. Ce choix n'est pas anodin. Bien que officiellement communiste, le Vietnam tente d'imiter son voisin chinois en ouvrant toujours plus le pays aux investisseurs. Mais au-delà, le Vietnam est en conflit diplomatique avec la Chine, au sujet d'îles situées au large du pays. Cette situation ressemble à celle du Japon qui est également en conflit avec la Chine, au sujet des îles Diaoyutai/Senkaku. 

Les deux géants asiatiques se livrent depuis le début de l'année 2012 un véritable conflit au sujet de ces îles. La tension est montée à tel point qu'une expédition d'environ 150 Japonais sur ces îles inhabités a provoqué des émeutes anti-japonaises en Chine. Au début de cette semaine, la Chine a annoncé qu'elle mènerait une mission cartographique et surtout géologique sur ces îles. La tension est à son comble entre les deux parties. 

Mais les enjeux de ces ilots inhabités va au-delà de la démonstration de force. Outre des fonds marins riches en hydrocarbures, la souveraineté de ces îles, selon qu'elles appartiennent au Japon ou à la Chine, modifie complètement les frontières maritimes :

Carte maritime de la région, montrant les multiples conflits maritimes du Japon mais aussi de la Chine avec ses voisins du Sud Est asiatique.


Sur ce conflit, M. Abe a annoncé vouloir rester ferme face à la Chine. Peut-on cependant craindre un affrontement armé ? Si le risque n'est pas nul, il est peu probable. En effet, les balais de navires de gardes-côtes sont plus une démonstration de force qu'une préparation à un conflit, qui serait destructeur. Économiquement, la Chine est devenue le premier marché extérieur du Japon. Les entreprises japonaises contribuent pour beaucoup à la modernisation chinoise, et les deux parties ne peuvent pas se permettre d'entrer en guerre l'une contre l'autre.

Par ailleurs, ce conflit en dit long sur l'état d'esprit du Japon. Certains des faucons conservateurs japonais -qui ressemblent fortement à ceux qui tirent les ficelles du parti républicain américain- sont encore dans un esprit de guerre froide. Cette sclérose de la classe dirigeante est aussi importante dans la société. Le Japon reste un pays fermé sur lui-même, replié. A titre d'exemple, le pays rend difficile l'entrée sur le marché national pour les entreprises étrangères. Les Japonais sortent peu du territoire national. Or, lorsque l'on reste fermé aux autres (et au changement ?) on ne comprend plus forcément la réalité, ses problèmes, et les solutions nécessaires.

Enfin, terminons par une anecdote révélatrice du Japon. Il s'agit d'un des seuls pays au monde qui est en conflit territorial plus ou moins ouvert avec tous ses voisins.

Sources : gecodia.fr, le Monde, Wikipédia, Sénat.fr

lundi 14 janvier 2013

Le Mali : retour sur un conflit d'un an



A nouveau sous les feux de la rampe depuis vendredi 11 janvier 2013, le Mali est devenu l'un des enjeux de l'Afrique de l'Ouest. L'intervention française, qui devrait être accompagnée par des forces de la CEDEAO (Confédération Economique des États d'Afrique de l'Ouest), n'est que le dernier rebondissement dans ce conflit qui a débuté en janvier 2012 et qui avait mis en déroute l’État malien.

Un gouvernement complètement dépassé

Le conflit malien éclate au début de janvier 2012, lorsque des éléments du Mouvement National pour la Libération de l'Azawad (MNLA) -organisation politique et militaire qui revendique l'indépendance de l'Azawad, région du Nord-Mali- attaquent des positions de l'armée malienne dans le Nord du pays. Ses membres sont essentiellement touaregs, l'ethnie dominante dans cette région. L'armée malienne est rapidement dépassée, en cause, la vitesse de progression des rebelles mais aussi l'alliance de ces derniers avec le groupe djihadiste Ançar Dine. Ce groupe est plus ou moins directement relié à AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique). Un troisième groupement intervient dans le conflit, il s'agit du  Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO), qui lui est directement issu d'une section d'AQMI. En mars 2012, le Nord du pays est presque tombé. La situation est critique, à tel point que dans la nuit du 21 au 22 mars, un coup d’État militaire renverse le président malien Amadou Toumani Touré.

Durant le mois d'avril, la junte cherche à gagner du temps et abandonne la ville de Gao aux rebelles. Mais du côté des rebelles, on assiste aux premières rivalités. L’Agence France-Presse annonce que le mouvement Ançar Dine a pris le contrôle de Tombouctou le 2 avril et en a chassé les combattants du MNLA.
La rupture intervient au mois de juin alors qu'une personnalité connue à Gao, enseignant et élu local est tué. Une foule en colère proteste contre les groupes armés. Le 27 juin, des combats opposent des combattants du MNLA et des combattants islamistes. Début juillet, la ville est sous contrôle islamique.

L'Azawad en vert foncé, avec le reste du Mali en gris. (Wikipédia)


Début janvier 2013, des éléments islamistes d'Ançar Dine et du MUJAO entament une nouvelle offensive vers le Sud. Le 10 janvier, les islamistes prennent la ville de Konna et se dirigent vers Mopti, dernière ville avant la capitale, Bamako. Le président malien demande l'aide immédiate de François Hollande, qui décide dès le 11 janvier d'engager l'armée française.

Opération Serval

L'opération militaire Serval est menée par les troupes françaises en collaboration avec les troupes maliennes. Les premières furent déployées avant même l'annonce de l'intervention française. Si officiellement la France ne fait que soutenir ses alliés maliens, les faits montrent que la France mène presque entièrement l'offensive menée depuis vendredi, et avec une certaine efficacité.



Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian a insisté sur le fait que les opérations se déroulent de manière favorable. Les hélicoptères de combat français appuyés par l'aviation ont permis de stopper les combattants dans leur progression vers le Sud, les forçant à quitter la ville de Konna. Au total, on estime "qu'au moins cent" militants islamistes ont été tués. Les pertes françaises au Mali ne s'élèvent pour l'instant qu'à un seul mort. Dans la soirée du lundi 14 janvier, l'armée française a déployé des véhicules blindés (une trentaine selon un journaliste local). Ces forces sont issues des troupes de la force Licorne, basée en Côte d'Ivoire.
Il s'est avéré que les troupes ennemies sont bien armées et entrainées. Les armes reçues proviennent notamment de l'arsenal du général Kadhafi, ancien dirigeant libyen.. Lundi 14 janvier, des éléments islamistes ont pris la ville de Diabaly dans l'Ouest. Cette contre attaque montrent que les islamistes ne sont pas en déroute totale, d'autant qu'ils bénéficient de bases arrière en Mauritanie.
Si la France agit seule pour l'instant, des renforts africains sont attendus : le Niger, le Burkina Faso, le Sénégal et le Togo ont annoncé l'envoi de 500 hommes chacun, le Nigeria 600. Enfin, selon Moussa Ag Assarid, un responsable du MNLA, les rebelles touaregs seraient prêts à aider la France. La Mauritanie a également annoncé que son armée s'est redéployée le long de sa frontière pour boucler cette dernière, afin d'éviter que les djihadistes se replient en territoire mauritanien.
Quand aux soutiens occidentaux, la Grande-Bretagne a annoncé un soutien logistique, en envoyant des avions de transport. Les États-Unis ont promis une aide en matière de communication ainsi que l'envoi de drones. L'Allemagne a annoncé un soutien "logistique", "médical" ou "humanitaire". Un consensus international s'est développé en faveur de l'intervention -M. Hollande a par exemple été salué par les médias africains-, tandis que la France a convoqué le conseil de sécurité des Nations-Unies ce lundi.
En France, un consensus politique a aussi entouré l'opération. Les seules personnalités politiques s'étant clairement exprimées contre l'opération sont Noël Mamère, Jean Luc Mélenchon et Nathalie Artaud.

Carte des combats, tirée du site www.lemonde.fr

Des enjeux réels

Les enjeux sont importants, pour tous les intervenants.
L'objectif officiel du gouvernement français est d'enrailler la progression des troupes islamistes et de les empêcher "d'annexer" le reste du Mali afin d'en faire une base arrière pour AQMI. Cette situation aurait été d'autant plus inconcevable que la cellule terroriste a maintes fois déjà menacé l'Europe et plus particulièrement la France.
Aussi, il s'agit pour le président français de réaffirmer son soutien aux anciennes colonies avec lesquelles la France maintient de bonnes relations, malgré des frictions régulières (Françafrique, Libye). Il est intéressant de noter qu'un journal algérien accuse la France de néocolonialisme, tandis que certains médias africains grincent des dents car l'orgueil malien est légitimement touché.
Troisième point, cette affirmation de la France et de son président, qui a pris la décision de partir en guerre sans l'aide directe de ses alliés va certainement influencer la cote de popularité de M. Hollande. Rappelons-nous que lorsque Nicolas Sarkozy avait entamé avec ses alliés les frappes sur la Libye, sa popularité est (temporairement) repartie à la hausse. A ce titre, le consensus politique est symbolique. D'importantes personnalités de droite (MM. Fillon et Juppé) ont approuvé l'opération en qualifiant celle-ci de "nécessaire."
Il ne faut cependant pas perdre de vue les otages français dans la région, au nombre de neuf. Il y a un réel risque que ces derniers soient menacés de mort en réaction à l'offensive. A ce titre, pouvons-nous lier l'opération au Mali à l'opération ratée de sauvetage d'un agent de la DGSE (renseignements extérieurs) en Somalie ? Officiellement non, cette dernière avait été prévue depuis le mois de décembre selon le gouvernement.

Actualisation :
Mardi 15 janvier : l'armée française a annoncé que la ville stratégique de Konna n'est pas tenue par les forces loyalistes. Ce communiqué entre en contradiction avec celui de l'armée malienne daté de ce week-end. Celle-ci affirmait que la ville de Konna "n'est plus aux mains des islamistes". Les troupes maliennes sont, il faut le reconnaître, incapables de faire face à ces combattants bien armés, équipés, et entrainés. La France a bien compris les déficiences des forces maliennes. 1700 hommes au total sont déployés dans le cadre de l'opération, dont 800 directement sur le territoire malien. Lundi soir, des blindés français ont traversé la frontière.
Des questions méritent d'être posées. Si M. Hollande, en déplacement aujourd'hui à Abu Dhabi (Émirats Arabes Unis), a insisté sur le fait que "la France n'a pas vocation à rester au Mali ?", qui va conduire la reprise (et surtout la pacification), du territoire malien ? L'armée malienne est incapable de mener la moindre opération d'envergure, et si les renforts africains sont prévus d'ici "quelques jours", il faudra coordonner ces hommes. De plus, la France manque de moyens militaires de reconnaissance stratégique (détection radar avancée, écoute de communication, etc.).
Si M. Hollande promettait une guerre courte ("quelques semaines", selon L. Fabius, ministre des affaires étrangères), il faut briser ces illusions. M. Juppé, ancien ministre des affaires étrangères, a précisé, avec certainement plus de lucidité, que la France s'engage dans "une opération longue et difficile". La question subsidiaire est alors de savoir ce que l'on veut, et fixer des objectifs réalistes. Veut-on simplement empêcher les islamistes de conquérir le pays entier ? Ou alors souhaite-t-on sécuriser et pacifier le pays ? Ce sont deux objectifs différents et les moyens requis pour les réaliser ne sont pas les mêmes. On peut fortement douter que la France ait, seule, les moyens d'atteindre le second.

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Jeudi 17 janvier 



Attention : toutes les informations chiffrées concernant la prise d'otages sont sujettes à caution. Les informations sont différentes selon les sources, et aucune agence de presse ou journal n'arrive à disposer de sources sûres. L'emploi du conditionnel prévaut.

Prise d'otage en Algérie

Hier a eu lieu une prise d'otage dans un des sites en Algérie du groupe russo-britannique BP. Un total de 41 occidentaux en plus d'au moins 300 Algériens sont  retenus par un groupe dissident d'AQMI. Le groupe nommé la "brigade des enturbannés" ("La brigade Al-Mouthalimin") est dirigé par un Algérien, Mokhtar Belmokthar (le Borgne), déjà connu des autorités algériennes. La brigade aurait fait dissidence ou s'est fait exclure d'AQMI fin 2012. En cause les pratiques du groupe, notamment pour son financement. En effet il a souvent utilisé le trafic de cigarettes pour se financer. -Mokhtar Belmokhtar a ainsi gagné le surnom de Mister Malboro-. L'homme et son groupe se sont également imposés comme les maitres du trafic d'armes dans le Sahara. Ainsi, il est devenu l'un "des chefs les plus réputés" du Sahara, selon l'Américain Stephen Ellis. Les combattants eux-mêmes viennent de différents pays mais "d'aucun pays frontalier" selon le gouvernement algérien. 

L'armée algérienne est intervenue ce jeudi après midi vers 14h afin de libérer les otages, malgré les menaces répétées du groupe de faire "exploser le site." Une société française, CIS Catering, avait annoncé hier que 150 de ses employés algériens étaient retenus. L'opération menée par l'armée algérienne aurait fait 34 morts ainsi que 14 preneurs d'otages, de plus, des forces "terroristes" tentant de "s'enfuir" ont été "bombardées" selon le ministre de la communication algérien. Dans la confusion, cela aurait permis à 30 otages de s'enfuir.

L'intervention a été critiquée par les gouvernements impliqués. Londres parle d'une "situation incertaine [...] Nous devrions nous préparer à de mauvaises nouvelles". Le ministère des affaires étrangères français parle "d'une situation tragique", alors que ce matin encore, il annonçait "faire confiance aux autorités algériennes". L'entreprise BP, quant à elle, a confirmé la prise d'otage et a annoncé dans la foulée évacuer tous les employés non essentiels de ses sites en Algérie.

Vers 19h ce soir, le ministre de la communication algérien a annoncé que l'opération se poursuivait. Néanmoins ce dernier a reconnu que l'opération avait causé "quelques morts et blessés". Selon l'armée, 600 Algériens auraient été libérés. Vers 20h30, l'armée a annoncé la fin de l'opération, mais ne donne aucun bilan.

Il est intéressant de noter que l'intervention n'a certainement pas reçu un "feu vert" des nations concernées. Il y a la une volonté du gouvernement algérien de montrer que le pays est capable de gérer seul ses problèmes de sécurité intérieure et qu'il est capable de rester maître de la situation
Il s'agit d'un tournant dans la guerre au Mali. Non seulement l'opération, qui a été préparée depuis plusieurs semaines -le ministre de la communication algérien parlait d'hommes "très bien armés et entrainés, qui connaissaient le site"-, elle a due être précipitée mais elle est elle-même une des conséquences de la guerre au Mali, conséquence elle aussi de l'opération en Libye. -la chute de Kadhafi a ouvert les vannes de l'arsenal d'armement libyen qui a inondé la région.- Les gouvernements concernés (japonais, anglais, norvégien et américain notamment) vont certainement devoir réexaminer leur engagement au Mali. 
Les preneurs d'otages ont voulu "punir" l'Algérie pour avoir "ouvert le ciel aux forces croisées" -l'Algérie a en effet accordé à l'armée de l'air française de faire passer ses avions via son territoire.-

Combats au Mali
 
justement, les combats continuent autour de Diabaly, dans l'Ouest et à Konna. Ces deux villes, prises par les rebelles respectivement vendredi et ce week-end, sont des verrous stratégiques. Pour la première fois, hier, des éléments au sol français ont combattu des éléments islamistes. Là-aussi les informations fiables sont rares, mais les forces spéciales françaises sont impliquées. Au total 1400 soldats sont engagés dans l'opération. Le gouvernement a annoncé que le total sera bientôt porté à 6000 hommes.

L'objectif de guerre -il est intéressant de noter que le gouvernement parle bien d'une guerre pour ce conflit, et non "d'opération de maintien de la paix" ou autre maquillage pour camoufler la vérité.- sont de "détruire les terroristes". La guerre contre le terrorisme de M. Hollande prend alors une envergure radicalement différente : 
- Premièrement, détruire les terroristes maliens est impossible pour l'armée française. Je citerai ici un point de vue intéressant mais révélateur d'un invité de l'émission Du Grain à Moudre de ce jeudi 17 janvier, sur France Culture, qui a dit : "La guerre est une chose de bien trop importante pour être confiée aux Européens.". Cela implique, à juste titre, que les armées françaises (et européennes) ne sont pas capables de mener à bien seules une telle mission.
- Deuxièmement, parler de "terroristes", c'est faire un amalgame qui englobe tous les mouvements présents au Mali. Assimiler Ançar Dine, le MNLA, le MUJAO et AQMI est une erreur. Car si l'on identifie mal notre ennemi -le(s)quel(s) existe(nt) forcément, puisque le mot de "guerre" a été employé par le gouvernement-, nous aurons encore plus de mal à le combattre. 
 
Et s'il s'agit bien de ça, selon les propres mots du gouvernement. Car pour "détruire le terrorisme par la guerre" il va nous falloir du temps, de la détermination, et une réelle réflexion sur notre ennemi: qui est-il ? Qui sont ses soutiens ? Où se finance-t-il ?
Sur cette question de financement, en revanche, des réponses peuvent être données. En plus des diverses rançons (comptez 10  millions minimum pour "un européen relativement important enlevé par des éléments islamistes", avez-vous vu un communiqué officiel des gouvernements qatari ou saoudien condamner les opérations des islamistes au Mali et en Algérie ?

Lundi 21 janvier :
Les troupes françaises sont entrées aujourd'hui dans la ville du Diabali, tombée au main des rebelles lundi dernier. D'après un journaliste de l'AFP qui accompagnait ces hommes, aucune résistance de la part des troupes islamistes n'a été signalée. En revanche, la population s'est montrée enchantée et soulagée par l'arrivée des troupes françaises. La ville de Douentza a également été reprise.
Selon différentes sources, les forces islamistes se seraient repliées vers le Nord et la ville de Kidal, première ville tombée au lancement de la rébellion.

Exactions maliennes

Au fur et à mesure que la reconquête progresse, la vengeance suit de près. En effet, l'arme malienne procèderait à des exécutions sommaires de tout individu suspecté de collaboration avec les jihadistes. Exemples, des témoins auraient aperçus des soldats jeter des corps dans un puits à Sévaré

Je m'efforcerai de maintenir cet article à jour, la situation évoluant heure par heure. Je suis disponible pour des questions par mail : selpierre.france@gmail.com ou sur Twitter : SelPierre