jeudi 24 janvier 2013

Rio, son carnaval, ses plages, et ... ses favelas !

Rio, vitrine du développement brésilien, destination touristique prisée pour son carnaval, ses bars, ses plages, va accueillir (en partie) la Coupe du Monde de Football 2014 et les Jeux Olympiques 2016. Consécration pour le Brésil, pays émergent membre des BRIC -Brésil Russie Inde Chine ; les quatre pays en développement qui rattraperont nos économies- qui ambitionne de jouer la puissance régionale d'Amérique du Sud. Mais le Brésil malgré ses performances économiques remarquables -jusqu'à 7.5% de croissance en 2010 (à noter que le pays a subi un ralentissement en 2012)- fait face à de grosses difficultés. Et sa vitrine, Rio,  brillante des paillettes du carnaval cache un malaise social réel.

La favela, un lieu de non-droit

Vue de la favela de la Rocinha, la plus peuplée
Rio compte plusieurs favelas dont la plus importante, la Rocinha, compte près de 300 000 habitants. La favela est une ville dans la ville, avec ses rues, ses quartiers, ses places. Elles commencèrent à être construites au début du XXe siècle à la suite de la destruction des taudis de travailleurs, ce qui obligea ces travailleurs à monter sur les collines. 
Non délimitée -contrairement aux ghettos sud-africains qui sont démarqués des autres zones urbaines par des barbelés, voire des murs- les habitants de la favela constituent une classe sociale à part entière. Ils ne fréquentent pas les autres parties de la ville.
La favela est une zone de non droit, c'est-à-dire que la loi municipale, régionale ou fédérale -le Brésil est un État de type fédéral, comme les États-Unis d'Amérique- ne s'y applique pas. Les favelas sont dirigées par des gangs. Dans les années 1970 -durant la dictature militaire- ces gangs étaient imprégnés d'idéaux socialistes et acceptaient de jouer un rôle social, fournissant des revenus à nombre de favelados (nom donné aux habitants des favelas), mais aussi un semblant d'administration et de services sociaux.
Mais progressivement, ces idéaux disparurent. Les gangs se recentrèrent sur les activités les plus lucratives : trafic de drogues, trafic d'armes, trafic d'êtres humains, prostitution. Corollaire de tous ces trafics : une augmentation significative de la violence.

Les opérations de "reconquête" des favelas

C'est cette explosion de la violence qui a poussé les autorités brésiliennes à intervenir, durant les trois années précédant la première opération militaire, cinquante personnes furent blessées par balles perdues et 13 tuées. En 1994-1995 débute la première opération de pacification, nommée "Rio de Janeiro". Planifiée comme une opération courte, elle a permis d'éliminer une partie des gangs. Mais elle n'a pas permis le rétablissement de l'État de droit, puisqu'elle n'était pas inscrite dans la durée. Ainsi, dès que les forces militaires furent parties les gangs reprirent le terrain laissé vacant.

En vue des événements mondiaux prévus à Rio et au Brésil en 2013-2014 et 2016, le gouvernement a décidé de lancer une nouvelle opération de "reconquête" des favelas. Cette fois-ci, les autorités ont tiré les leçons de la première opération. Ainsi, celle-ci a été construite sous un schéma "Clear-Hold-Build" (nettoyer, occuper le terrain, (re)construire). Ce genre de schéma est également utilisé par les forces occidentales en Afghanistan.
La première partie de l'opération a donc consisté à nettoyer la favela en utilisant des éléments mixtes de l'armée mais aussi de la police. Il est intéressant de noter que l'opération a été annoncée, ce qui a permis aux membres des gangs de fuir. Les forces militaires ont donc fait face aux éléments les plus déterminés à se battre.
Plusieurs opérations sont lancées, la municipalité espère contrôler les quarante principales favelas d'ici l'année prochaine.

Essentiels pour coordonner les opérations, l'armée a utilisé nombre d'hélicoptères dans les opérations.
Mais à la différence de la première opération, les troupes brésiliennes ont ensuite tenu le terrain, afin de pouvoir reconstruire. L'État a ainsi recruté des policiers spécialisés, jeunes, fraîchement sortis des écoles -afin de limiter le risque de corruption, ceux-ci étant encore imprégnés des règles martelées dans les écoles- et déterminés. Ils sont également payés le double d'un policier ordinaire (1000 réaux / 450 €). Ces unités de police pacificatrices (UPP) sont néanmoins critiquées car leur comportement s'est parfois révélé violent. Interrogée par le Monde Diplomatique, une habitante dénonçait la situation, arguant que "les UPP ont remplacé les gangs dans les favelas"

La phase de reconstruction est certainement la plus importante, bien que moins impressionnante que les opérations militaires dans la favela. Accompagnant directement les troupes militaires, les organisations municipales se sont installées, le plus souvent dans les anciens locaux des gangs pour marquer les esprits.
Progressivement les services municipaux ont repris leurs activités. Autre signe, des banques acceptent de s'installer dans les favelas afin de délivrer des micro-crédits -il s'agit de prêt de quelques centaines d'euros mais qui parfois suffisent à lancer une petite PME-. De plus, les services municipaux récemment ré-installés lancent de "grands projets" d'aménagement : routes, réseau d'égouts, etc. Ces projets permettent de donner un travail aux habitants. Ils trouvent un revenu fixe ce qui permet de les détourner des gangs. Ce point est peut-être le plus important de l’opération et pourrait être envisagé dans les cités françaises ? Donner aux jeunes de ces quartiers une opportunité de travailler permettra peut-être une ré-insertion dans la vie professionnelle. La répression policière voire militaire contre les gangs n'est d'aucune utilité tant qu'elle n'offre pas en parallèle une opportunité de "reconversion" aux populations en situation d'exclusion.

Le téléphérique flambant neuf surplombant la Santa Marta
Symbole de cette reconquête des favelas, celle de Santa Marta, toujours à Rio, a reçu un réseau d'eau potable et le téléphérique flambant neuf qui la surplombe est le symbole de sa "réintégration" à la ville. La reconquête des favelas est jusqu'à présent un succès.

Mise à jour du 07/10/2013

Quand j'écrivais cet article sur les opérations de pacifications des favelas au Brésil, j'ai tâché d'analyser la situation sous un angle plutôt sécuritaire. Force est de constater que cette analyse, si elle n'est pas fausse, est néanmoins biaisée. Je vous propose cette vidéo tirée du site www.lemonde.fr :

http://abonnes.lemonde.fr/ameriques/video/2013/10/07/reprise-de-l-operation-de-pacification-dans-les-bidonvilles-de-rio-de-janeiro_3490956_3222.html

Elle donne un contre-point intéressant qui manquait à l'article. 

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