lundi 24 décembre 2012

L’Égypte après le Printemps arabe

En janvier 2011, la société égyptienne craque. Gouvernés par Hosni Moubarak depuis 30 ans -élu à la suite de l'assassinat de l'ancien Président Anouar El Sadate en 1981, et "réélu" depuis en utilisant des méthodes douteuses ; fraudes, intimidations-, victimes du chômage, de la pauvreté, du manque de logement, des restrictions de libertés, fatigués de l'état d'urgence permanent, des abus des forces de l'ordre, de la corruption, les Egyptiens se soulèvent et manifestent place Tahrir, une des places les plus renommées du Caire.


Photo de la place Tahrir en 2011, durant la révolution égyptienne.

Le 11 février 2011, le président Moubarak démissionne. L'armée prend le pouvoir par intérim et assure qu'elle tiendra des élections libres. A partir du 13 février, le gouvernement provisoire prépare les réformes qui mèneront au nouveau régime. Est créée une commission de réforme de la constitution, formée de huit juges qui rendra publiques ses propositions le 26 février et seront soumises à un référendum. Le 19 mars, les propositions sont validées par un référendum. Si la participation est de 41%, c'est quatre fois plus qu'aux référendum de l'ère Moubarak. Les propositions sont intégrées dans un décret constitutionnel qui fondent la Seconde République Égyptienne (la première a été proclamée en 1953, succédant au Royaume d’Égypte).

 Les législatives ont lieu entre le 28 novembre 2011 et le 10 janvier 2012. Cruciales, elles ont porté au pouvoir le parti des Frères musulmans au pouvoir, le Parti de la Liberté et de la Justice. 


Qui sont les Frères musulmans ?

  • Avant tout, il s'agit d'une organisation panislamique, c'est-à-dire qu'elle a pour but ultime de regrouper tous les musulmans dans un seul et même État, État musulman qui gouvernerait en s'appuyant sur la charia, la loi coranique.
  • L'organisation est une nébuleuse, c'est à dire que dans chaque pays arabe, une confrérie nationale se mobilise. Il y a ainsi des Frères musulmans égyptiens, mais aussi syriens, irakiens et dans les territoires palestiniens. Si la nébuleuse est avant tout un ensemble de courants d'idéologies et de formes différentes elle est plus ou moins coordonnée depuis Londres, par la Muslim Association of Britain.
  • Dans chacun des pays où elle est présente, la confrérie a des modes d'actions différents. De manière générale, elle se distingue des pouvoirs en place en menant des actions proches pour le peuple : par exemple, elle participe à l'éducation, assure le ravitaillement en denrée alimentaire etc. 

Et en Égypte ?

Les Frères musulmans égyptiens ont, depuis leur création, fait de l'éducation du peuple une de leur priorité. S'ils devaient composer avec la constitution laïque, ils plaident pour une société régie par la charia. Auparavant stricts dans leurs codes vestimentaires et dans leur idéologie, les Frères musulmans ont changé de stratégie ; en effet, si leurs actions les rendaient populaires dans la population, leur rigueur idéologique les coupaient d'une partie des électeurs, qui tiennent par exemple à la laïcité. 
Ils ont donc abandonné, officiellement du moins, l'idée d’État théocratique -c'est à dire d'un Etat s'appuyant sur des lois religieuses-, leurs candidats aux élections législatives ont adopté des règles vestimentaires et physiques plus occidentales -barbes rasées ou coupées, costumes etc.- et ont reçu des formations poussées aux techniques de communication, aux stratégies de persuasion et aux méthodes de négociations. Leur popularité reste énorme :  d'après un sondage du centre de recherche Pew, 75% des Égyptiens ont une opinion "favorable" à "très favorable" des Frères musulmans.
Mais le mouvement se divise à cause de courants contradictoires qui le compose. Je citerais les principaux devenus récemment indépendants :

- Le parti de la Justice et de la Liberté est le principal courant des Frères musulmans. Il est intéressant de noter qu'il tient à l'écart les femmes et les jeunes, pourtant principaux artisans de la révolution.

- Le parti de la Lumière est le parti créé par les salafistes -courant revendiquant un retour à l'islam des origines, fondé sur le Coran et la Sunna-

- Enfin, l'aile modernisatrice et libérale des Frères musulmans a fait scission en 1996 et a créé le parti Al Wasat ("le Milieu").




En Egypte, l'armée a un statut particulier et une place importante dans la société. Elle bénéficie d'un grand respect, celui-ci s'est encore renforcé durant la révolution, puisque les militaires n'ont pas retourné leurs armes contre les manifestants. Les généraux qui assurent le pouvoir par intérim n'acceptent qu'avec peu d'enthousiasme la victoire des Frères musulmans. En effet, ils craignent que ces derniers s'attaquent à la position privilégiée de l'armée. Ainsi, une sourde lutte d'influence va commencer. En juin 2012, l'Armée prend l'initiative et invoquant une faille dans le procédé électoral, la Haute Cour Constitutionnelle invalide un tiers des sièges. Or ces sièges avaient été principalement remportés par les Frères musulmans.

Mais, quelques semaines plus tard, les Frères musulmans l'emportent à l'élection présidentielle. Le 24 juin 2012 Mohammed Morsi devient alors président de la République, avec 51.7% des suffrages. Une des premières mesures de celui-ci est alors d'invalider la décision de la Haute Cour Constitutionnelle. Les islamistes ont remporté le bras de fer qui les opposaient à l'armée, qui reste néanmoins très influente.

Mohammed Morsi, président en fonction de la République d’Égypte.


Les nouveaux défis du pouvoir en place


Une fois le nouveau pouvoir en place, celui-ci a d'abord tenté de se consolider, sur fond de crise économique et financière. En effet, l'économie égyptienne est une économie de rente, c'est-à-dire qu'elle vit sur des sources de revenus plus ou moins stables -tourisme, revenus du Canal de Suez, petites réserves de gaz et pétrole- et n'arrive pas à se développer. La publication d'un décret présidentiel le 22 novembre qui confère au président Morsi le droit de passer outre des décisions judiciaires a mis en lumière le fragile équilibre sur lequel repose le pouvoir égyptien ; ce décret a provoqué des manifestations populaires encouragées par l'opposition, qui dénonce une tentative de prise de pouvoir par le président. L'opposition s'est organisée : elle a créé le Front du Salut National, qui fédère les pro-laïcité, les libéraux et les socialistes.
Et ce mouvement de contestation ne va pas en s'amenuisant. La constitution, présentée au peuple égyptien est accusée par l'opposition de ne pas garantir assez les libertés de cultes ni les droits des femmes -qui sont d'ailleurs victimes d'une véritable contre-révolution, je souhaite que l'on prenne particulièrement conscience de ces femmes battues et agressées sexuellement sur la place Tahrir.- Face à cette contestation qui prend toujours plus d'ampleur, les militants des Frères musulmans sont également descendus dans les rues. Devant le risque d'explosion de la violence, M. Morsi a suivi l'appel au dialogue de l'armée et a accepté de revenir sur son décret. Néanmoins, il a donné à l'armée l'autorisation d'arrêter des civils pour maintenir la sécurité en vue du référendum.

Le scrutin concernant le référendum a eu lieu les samedi 15 et 22 décembre. Sans surprise, celui-ci a validé la constitution. Mais l'opposition dénonce des fraudes et s'apprête à faire appel. Le texte ouvre la voie à "une série de lois qui vont balayer les libertés publiques" pour M. Sabbahi -cofondateur du parti al-Karamah, d'idéologie nassériste : idées pan-arabes (volonté de rassembler tous les Arabes dans un seul et même État) combiné à un socialisme arabe.-  Les islamistes du Parti de la Liberté et de la Justice a salué "une page nouvelle" qui va concrétiser la création d'un État égyptien démocratique. Quoi qu'il en soit, les derniers événements montrent une chose : il n'y a pas d'union nationale autour du projet de constitution.


Source : BBC News, Le Monde, Wikipédia, allAfrica, AFP.

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